je suis sur le point de terminer le souper lorsque j'entends sani et leora rentrés de l'école. j'arrête ce que je fais pour aller les prendre dans mes bras et les saluer. - la journée pas trop mal ? leora me donne une feuille avec des questions dans les yeux. j’arque les sourcils en regardant la feuille en question et je comprends pas où elle veut en venir avec ça. je vois sani aller dire salut à yann. - qu'est-ce que c'est ? leora ne réponds pas tout de suite, à la place, c'est son frère qui répond. - elle doit parler de sa mère, mais puisque ici, il n'y a pas de mère, eh bien, elle se demande ce qu'elle doit faire. je ne sais pas si je dois prendre ça pour une attaque ou pas. - c'est ça princesse ? elle me fait signe que oui. je lance un regard vers yann.

je descends au premier alors que j'entends les enfants arriver. j'les observe de loin en m'croisant les bras et en souriant. la petite a un papier à la main et puis sani dit un truc qui m'fait hausser un sourcil. je m'approche tranquillement alors que nemo me regarde, puis j'regarde le papier. « j'savais bien que mon prénom d'femme allait être utile un jour. » j'ris légèrement, pour m'rendre compte que sani, lui, ne rit pas. « tu sais, beaucoup de gens n'ont pas de maman, et ils n'ont pas forcément deux pères. »

yann va se faire passer pour la mère du couple, c'est bien ça. je ris à mon tour et leora nous fait un sourire, sauf que sani n'a pas décidé de participer lui. - ouais, sauf que le problème c'est qu'on a un père et une mère tous les deux, pas deux pères. je me retourne et je plante mon regard dans le sien. - leora, est-ce que tu peux monter dans ta chambre s'il te plait ? faut que je parle à sani. - oui papa. je vois la petite monter à l'étage. - j'peux savoir depuis quand ça te dérange d'avoir deux pères ? j'dois avouer que ça me blesse ce qu'il dit. yann aide-moi.

la réplique de sani m'glace le sang. nemo demande à la petite de monter à l'étage et j'sais c'que ça veut dire. nemo lui demande directement depuis quand ça lui dérange d'avoir deux pères. j'ai pas forcément envie d'prendre part à cette discussion, j'savais bien qu'elle allait arriver un jour. « depuis que j'suis assez intelligent pour comprendre c'que ça implique. depuis que j'ai l'âge d'aller à l'école, en somme. depuis que j'ai capté que leora et moi étions les seuls à avoir deux pères. disons que je ne m'en vente pas. » j'ouvre tranquillement l'armoire de la cuisine, en m'disant que la crise d'adolescence est arrivée plus tard que prévu. j'me prends une tasse, j'désire pas trop en entendre davantage, mais j'peux pas vraiment m'éclipser.

j'appuie mes deux mains contre le comptoir et je l'écoute parler. je me mords la lèvre pour me contrôler parce que honnêtement, c'est un peu de trop tout ça. - voilà, avoir deux pères est un problème maintenant. qu'est-ce qu'on a fait de mal au juste ? on s'aime c'est ça ? la manière dont moi et yann ont t'as élévé ? je crois que tu n'as manqué de rien, tu as eu ce que tu voulais au niveau matériel, tu n'as jamais manqué d'amour, on a toujours été là pour toi, on t'as offert tout ce qu'un couple hétéro peut donner à son enfant, à part une mère. on t'as même proposé de rencontrer tes parents biologiques, tu n'as pas voulu, alors je m'excuse, mais je vois pas où est l'erreur.

j'suis quand même satisfait de la réponse de nemo, alors je n'ajoute rien, haa ha.. j'me fais couler un café, assez nerveux de la suite. « où est l'erreur? vraiment? tu blagues, j'espère? tu penses que la présence maternelle, ça s'oublie facilement? la seule raison pour laquelle ils vous ont permis de nous adopter, c'est votre argent, votre compte en banque si énorme qu'il vous permet d'acheter n'importe quoi, comme des enfants, par exemple. » je tousse. « sani.. »

il pouvait pas plus nous blesser que ça. je regarde yann. je prends un temps avant de répondre. - est-ce que t'aurais réellement voulu te faire adopter par un couple hétéro ? et je te conseils d'y réfléchir deux petites secondes petit homme. je vois sani se morde la lèvre comme moi je le fais, je sais qu'il y réfléchit très fort.

la question fatidique. il y a un moment de silence, assez long. « honnêtement? » oh. ça commence mal. « honnêtement? ouais. carrément. » aoutch. j'reste figé un instant. j'croyais pas qu'il était malheureux. j'croyais pas qu'on avait mal fait. j'prends ma tasse, puis j'me dirige vers le salon pour m'assoir sur le sofa. j'regarde la scène de loin. j'veux pas participer.

j'hoche la tête de haut en bas tout doucement. - parfait alors. je monte à l'étage prendre une enveloppe dans ma table de chevet et je la dépose devant sani. - je t'invite à signer tout ça, et tu vas pouvoir aller retrouver tes vrais parents. il me regarde perplexe. - et avant que tu signes, je tiens à te rappeler qu'on a fait de notre mieux pour t'élever, ça n'a jamais été une question d'argent à nos yeux, si on t'as adopté toi et leora, c'est parce qu'on voulait donner de l'amour et parce qu'on voulait des enfants pour s'en occuper, s'inquiéter, les élever et surtout les aimer de tout notre coeur. juste pour toi le nombre d'heures qu'on a passé à l'hôpital pour toi et pour ton coeur, le nombre de fois qu'on s'est tué la nuit pour te surveiller, qu'on a tout fait pour que tu t'intègres à l'école. je te considère pas comme un fils, t'es MON fils, je suis ton père et yann est ton père aussi. t'es pas une possession, tu peux partir, de toute manière, tu serais pas le premier à sortir de cette maison. il y a delf et ciel aussi qui sont partis. je commence à croire que c'est moi qui porte la poisse.

j'me demande c'que nemo va faire en haut, j'crois simplement qu'il va 'prendre l'air', mais il revient avec un truc et j'comprends tranquillement de quoi il s'agit. ça devient un peu trop sérieux pour moi. il pond un discours, je l'écoute attentivement. « tu veux que j'me sente redevable, c'est ça? » ah sani. tu n'comprends donc rien. il prend l'enveloppe. assez violemment. avec l'même regard meurtrier que j'fais à l'occasion.

j'ai l'impression de voir du yann tout craché. - redevable pour quoi ? pour ça ? t'as pas à être redevable, c'est ce que tout parent aurait fait pour son enfant. je me passe une main dans les cheveux. et je soupire longuement. - écoute sani, si t'es si malheureux que ça d'être avec nous, je peux pas t'empêcher d'aller chercher le bonheur. je t'aime d'un amour infini, et ça va me tuer que tu passes la porte, mais tu sais ce que tu fais.

j'écoute nerveusement, puis j'dépose la tasse de café sur la table de salon. j'regarde nemo, dans les yeux, puis j'dis sèchement « non, il sait pas c'qu'il fait. tu l'encourages à partir, nemo. »

voilà que yann s'en mêle. je soupire et je lui lance des éclairs. - alors tu peux lui parler, j'te laisse la parole, essaie de le convaincre de rester à la maison. je crois seulement qu'à force, j'en peux plus de me battre.

- yann, je te laisse avec notre petit homme. je me dirige vers le balcon et je passe l'entrée en fermant la porte pour aller fumer dans le silence à l'extérieur, pour essayer de me calmer du mieux que je peux.

non. non. non. j'veux pas. ne va pas sur le balcon. reviens ici. j'regarde sani. le silence s'installe. c'est quoi mon rôle de père, déjà? j'dois dire quoi, maintenant? désolé d'aimer ton autre père? désolé de t'avoir adopté? « .. hm. » j'm'assois, tranquille. ou pas. « on te dégoute, sani? »

j'ai beau être à l'extérieur et avoir la porte fermée, j'entends quand même yann et sani parler. yann parle et j'prends difficilement ma prochaine bouffée. c'est au tour de sani de répondre. - non, mais vous voir vous embrasser me fait pas sourire. au moins, il est pas homophobe.

« oh. cool. » ça, c'est le comble. j'regarde ailleurs, j'me mords la lèvre deux trois fois. « donc, qu'est-c'que tu veux, au final? qu'on achète une mère, avec notre énorme compte en banque, comme tu le dis si bien? »

nemo, respire. - pourquoi pas ? vous êtes bien capables de vous payer des enfants, pourquoi pas une mère ? pourquoi pas l'amour aussi ? sani, j'suis sur le point de te mettre dans une boîte et de te réexpédier en france.

j'ai l'impression d'avoir frappé un mur, à l'instant même. rien ne paraît. avec les années, j'ai appris à être discret. mais j'voudrais bien lui cracher à la figure, pour ce qu'il vient de dire. « oh. tu ne nous aimes pas. pourtant, on t'a élevé. on t'a supporté. on ne t'a quasiment jamais puni. on t'a offert tout c'que tu désirais. on a été là pour toi, à tout moment. on t'a traîné avec nous partout depuis qu'on t'a adopté, parce que ta famille biologique n'était pas en mesure de te faire vivre adéquatement. mais, tu ne nous aimes pas, bien évidemment. parce qu'on est deux hommes. et qu'on s'aime. et que le regard des autres sur toi est plus important que ta famille. parce que ce n'est pas 'standard'. parce qu'être dans une famille unie, stable, avec des parents qui seraient tous deux prêts à crever pour toi, ce n'est pas assez. comme j'aime ta logique. »

- ok, parce que tu crois que c'est facile d'aller tous les jours à l'école, de te faire exclure des conversations qui impliquent les parents parce que toi, tu sais même pas c'que sait d'avoir une mère ? j'vous ai jamais blâmé pour tout ce que vous avez fait pour moi, mais t'as pas jamais su à quel point qu'on s'est foutu de moi à l'école, le nombre de fois qu'on m'a traité de pédé, de gay de tous les noms que tu veux parce que j'ai deux pères. et tu vois, j'aimerais que leora sois pas dans le même merdier que moi !

- ouais, ça ferait mon bonheur.

j'entends sani qui commence à pleurer. j'suis en colère, mais j'ai le coeur qui me sert. - va te faire foutre ! puis, je l'entends monter à l'étage. c'est alors que je rentrer pour aller prendre yann dans mes bras. - qu'est-ce qu'on a fait de mal au juste ?