dans ma voiture, devant la maison familiale. ça m'prend toujours un temps fou avant d'y entrer. cette maison n'est qu'une maison, pourtant. mais il y a des souvenirs, à l'intérieur, que je n'veux pas forcément revoir. j'sors péniblement de ma ferraille, puis marche lentement vers la porte. j'cogne deux coups, puis entre sans attendre l'approbation de personne. ça a toujours été comme ça, à la maison. y'a maman, papa, dans la cuisine. j'salue maman. j'regarde même pas mon père. « CRUUUZ? » arrive, petit con, qu'on parte au plus vite. il doit être dans sa chambre, ou j'sais pas.

je tourne en rond dans ma chambre, j'attends. je regarde l'heure passer. en fait, j'm'ennuie clairement, quand je n'travaille pas. et surtout, surtouuuuut quand j'attends qu'isa arrive. qu'il est long celui-là, aussi. j'entends la porte, je l'entends m'appeler en criant, alors j'lui crie, sur la même intonation. ISAAA? puis j'descends les escaliers en souriant, les mains dans les poches. j'vais dans la cuisine, faire un baiser à maman. on file, à plus tard. et papa qui m'lance de pas faire de bêtises. comme si on avait encore cinq ans. j'retourne vers isa. ben alors, tu fais quoi? j't'attends, moi. j'rigole puis sors de la maison.

on gueule mon nom. enfin, cruz gueule mon nom. il descend, puis j'lui lance un semi-sourire. j'suis content de le voir, ouais. mais j'suis pas content d'être là. j'serai super, super, super heureux une fois qu'on sera ailleurs. « tsss. arrête de te plaindre, petit con. » j'ris, puis on sort. j'respire de nouveau. j'prends place dans ma voiture, puis j'attends que le p'tit frère fasse de même. « alors. ça va, l'job? les femmes? la vie? »

gennnnre. je n'me plains pas. jamais. ou presque, en fait. mais quand même, c'est toujours drôle de le taquiner. petit con toi-même. j'souris en coin puis je m'installe dans la voiture à côté. ça va très bien, j'ai sauvé la vie d'une gamine avant-hier, elle a bien failli y passer dans l'ambulance, j'ai eu de la chance d'avoir le bon réflexe. j'hausse les épaules genre, no big deal, ça arrive souvent. mais en vérité, pas tant que ça. en vérité, j'suis un peu chamboulé encore, et j'm'en serais pas remis si le pire était arrivé. je sors une cigarette et l'allume après avoir ouvert la fenêtre. et les filles.. ahah, elles défilent, comme toujours. j'ris un peu. et toi, ta vie?

j'suis fier de mon frère. vachement fier, même. « wow. » j'hoche positivement de la tête. « t'es un super-héros, donc. » j'souris. à chaque fois que cruz m'parle de son boulot, ça m'fait rappeler à quel point les gens s'rendent pas compte à quel point ça doit être difficile. « ton grand-frère, il pourrait carrément pas faire ça, comme boulot. » ton grand-frère, il t'admire, aussi. j'roule vers chez moi, tout en l'écoutant. « tu devrais peut-être te concentrer que sur une, t'sais.. au lieu de toujours changer. » cruz, il devait m'trouver vachement coincé. « la vie va comme toujours, de mon côté. je vais à l'école. je bosse. point barre. la différence, c'est que j'ai avoué à coumba que je l'aimais bien. t'sais quoi? j'aurais pas dû. » je ris malgré tout. mais en fait, c'est tellement pas drôle.

j'ris un peu. le coup du super-héros, j'y ai droit presque à chaque fois. j'suis loin, bien loin d'en être un, pourtant. j'fais juste conduire une ambulance super vite sans respecter les panneaux et appliquer les soins d'urgence. j'ai pas d'super-pouvoirs. dommage. ouais, mais mon grand-frère, il va toucher plein d'argent plus tard. et m'faire une belle maison, aussi. tant qu'à faire, autant profiter ahah. j'ris légèrement à sa remarque. disons que j'ai pas trouvé ""la bonne"" encore. j'lui lance en mimant les guillemets avec mes doigts en même temps. puis, moi, ça m'convient, comme ça. j'hausse les épaules et mène ma cigarette à mes lèvres. puis j'l'écoute, lui, parler de sa vie. et quand il m'parle de coumba.. aïe. hm.. elle l'a pris comment? quelle question, s'il dit qu'il aurait pas dû, c'est qu'elle a pas dû le prendre si bien que ça.

toucher plein d'argent, ça, c'est juste si j'réussis. mais j'ai quand même foi en mes capacités. un mec qui s'isole tout l'temps pour dessiner des maisons, normalement, ça réussi. hahaha. « évidemment que j't'en ferai une. quuue pour toi.. et tes conquêtes. » j'souris, même si j'comprends pas comment il fait. et là, il m'fait rire avec ses guillemets. « mouais, c'est ça. tu la cherche pas, non plus.» clin d'oeil. on arrive à l'appart, alors j'sors de ma voiture, puis entre dans mon loyer. j'referme la porte derrière cruz. « elle m'a demandé si j'voulais qu'on arrête de se voir, j'lui ai dit que non, mais un peu après, j'lui ai demandé de partir juste parce que je voulais être un peu seul, puis elle l'a mal pris. on s'est pas reparlé, depuis. » j'soupire. « mais en même temps, quelle idée idiote d'avouer son amour à une amie lesbienne. » jadis, j'étais plus intelligent, i guess.

une grannnnde maison, avec une belle piscine, aussi. j'compte bien sur isa pour m'faire quelque chose de parfait. tss mais non, d'ici là, j'aurais marié une belle fille, et on aura trois enfants, et un chien aussi. et j'gueulerais après isa parce qu'il rangera jamais ses crayons, comme son tonton. j'souris un peu. ouais, enfin, on en reparlera une autre fois de la famille parfaite, quand même. maaais si, j'la cherche très bien, j'fais le tour de tout le monde, tu peux pas dire que j'la cherche pas. par contre, je veux bien reconnaître que je n'la cherche peut-être pas de la bonne façon, ça oui. j'ris, puis j'écrase la cigarette dehors avant d'entrer à l'appartement. je me pince un peu la lèvre du bas. non, j'pense que t'as bien fait de lui dire. tu pouvais pas rester encore comme ça, ça t'bouffait trop. ouais, il suffisait de voir dans quel état ça le mettait, tout ça.

« j'peux pas dire le contraire. » ça, non. lui au moins, il cherchait. mais en même temps, moi, j'voulais juste pas de copine. alors, à quoi ça sert de chercher un truc qu'on n'veut pas? à rieeeen. ça sert à rien. « le problème, c'est que maintenant, ça m'bouffe encore plus. j'ai pas une tonne d'amis, tu sais. et bon, j'y tenais vraiment, à elle. » j'soupire, encore. « va falloir que t'aménages. t'as pas l'choix. c'est pour soigner la solitude de ton grand-frère. » j'le lance en blague, mais en fait, ça m'arrangerait qu'il foute le camp de cette maison pour venir avec moi. genre, soit mon super-héros, haha.

ça m'rend mal, vraiment mal de savoir isa comme ça. tout ça à cause d'une fille. elles sont connes, ces filles. quelle drôle d'idée d'être lesbienne, elle, aussi. mais vraiment, j'suis vraiment mal pour isa. alors je me mets en mission de lui changer les idées. tu vas la récupérer, isa. il lui faut juste le temps de digérer tout ça, tu sais. enfin, j'imagine. ouais, c'est ce que j'imagine parce que, j'ai jamais été dans une situation comme ça. et j'le souhaite pas, sincèrement. pour ça faudrait que t'aies un lit à m'offrir genre.. un vrai, pas un canapé, histoire que j'paye un loyer pour quelque chose t'sais. mais allez, j'reste là ce soir. si ça peut l'aider, moi, ça m'va. et j'pourrais bien m'installer temporairement, genre.. une semaine. puis coumba va vite revenir, de toute façon.

si j'veux la récupérer, j'vais devoir lui demander pardon. et elle va devoir accepter mes excuses, aussi. « mouais. j'imagine. » anyway, ce sera toujours compliqué, avec coumba. surtout depuis qu'elle sait.. tout. mais j'veux vraiment pas la perdre pour autant. « j'vais t'en trouver un, si c'est tout c'que ça te prend pour aménager. t'auras même pas besoin de payer quoi qu'ce soit. » j'ris un peu, puis ouvre le réfrigérateur pour lui offrir une bière. « t'en veux une? » j'lui donne, puis vais m'assoir sur le canapé en buvant la mienne. « ça va bien, à la maison, sinon.. ? genre, avec maman et papa.. ? »

j'lui donne une petite tape sur l'épaule pour qu'il se décourage pas puis l'air de dire « perds pas espoir frérot, j'suis là pour te soutenir ». et tu le mets où, dans les toilettes? dis pas n'importe quoi, puis j'ai une chambre déjà. j'attrape la bière qu'il me tend et souris. merci. je l'ouvre puis j'vais le rejoindre sur le canapé. j'hausse les épaules. oui ben, la routine tu sais, ils sont les mêmes. maman continue de me surveiller de près comme si j'étais un enfant, et papa.. c'est papa, il est juste heureux que j'sois heureux.

« tu prendras ma chambre, au pire. j'me mettrai un lit dans le salon. c'est pas moi qui ramène les filles, de toute façon. » c'est que j'souhaite vachement qu'il vienne, en fait. j'le souhaite depuis plusieurs années, en fait. mais j'pouvais pas le ramener, quand j'ai quitté la maison. puis après, j'ai jamais vraiment osé demander. j'suis bien, tout seul. mais mon frère, il pourrait très bien faire exception à la règle si j'étais capable d'le sortir de là. je l'écoute parler de la vie à la maison. il est juste heureux que j'sois heureux. haha.. j'suis incapable de sourire. incapable de faire semblant. incapable de cacher la haine dans mes yeux. « cool. » j'improvise un sourire. « c'est cool. tu passes beaucoup d'temps avec papa? »

t'embête pas, comme ça. si t'y tiens vraiment, on s'trouvera un appartement avec une chambre chacun mais, y a le temps tu sais. j'suis pas trop sûr de comprendre pourquoi il insiste à ce point. et puis, s'il voulait vraiment continuer de vivre sous le même toit que moi, il n'avait qu'à pas être parti comme ça, du jour au lendemain. et ça m'attriste. j'aurais pas voulu qu'il parte. alors je serais content de vivre à nouveau avec lui. mais pas tout de suite. pas mal, oui. on regarde les matches de rugby ensemble, puis on va pêcher des fois. j'hausse les épaules. l'autre fois je l'ai aidé pour refaire les tuyaux de la salle de bain. des activités banales père-fils, en somme.

« ouais, d'accord. » j'ai déjà trop insisté pour insister encore. alors j'acquise, juste. puis, je l'écoute. le fameux voyage de pêche. j'ai des souvenirs de ça, moi aussi. un voyage père fils. j'ai envie d'vomir. j'ai envie d'vomir, parce que j'ai des scènes qui me reviennent en tête, que j'avais réussi à plus ou moins chasser de mon esprit. « aah.. » j'me lève, parce que j'y arrive plus. j'vais dans la salle de bain. j'verrou la porte. crise de panique. j'pleure. j'pleure tout l'temps, pour reprendre les mots de mon père. c'est la première fois que j'm'emporte autant, pendant que cruz est là. le temps avance. plus ou moins dix ou quinze minutes. j'm'oblige à sortir, parce que cruz doit vachement se demander ce qu'il s'passe. j'dois inventer un truc, assez vite. j'm'assois de nouveau, puis prends une gorgée de bière. « j'me sentais pas très bien, pardon. » pas convaincu, pas convainquant.

je lui dis juste comment ça se passe, comme il me le demande. et ça se passe bien, de toute façon. mais isa disparaît, d'un coup. il s'en va et j'entends le verrou d'une porte. mais j'bouge pas. parce que je me doute qu'il va revenir, et que s'il est parti, c'est qu'ça allait pas mais qu'il devait être seul. alors il va revenir, ouais. mais ça commence à faire long, là. je me lève quand j'entends à nouveau le verrou, alors je me rassieds. il se remet à mes côtés et je reste à le fixer, comme un ovni. qu'est-ce qu'il s'passe? t'as les yeux rouges, t'as pleuré? ouuuu alors il s'est défoncé. mais c'est pas le genre d'isa, ça. alors il a sans doute pleuré. mais j'comprends pas ce qui lui a pris, d'un coup.

cruz m'fixe. puis, il m'pose une question à laquelle je ne veux pas vraiment répondre. « c'est rien. » j'prends une bonne respiration. t'es capable, isa. « papa me manque, c'est tout. » j'arrive pas à croire que j'ai dit ça. n'importe quel mensonge, mais pas celui-là. j'passe pour le pire sensible du siècle. j'suis sensible, à c'qu'on dit, mais pas à ce point-là. j'ai super honte, maintenant.

je fais la moue, un peu. quand même, se mettre dans cet état pour ça. l'histoire de coumba doit vraiment l'affecter plus que je ne l'imagine, il doit être à fleur de peau. pauvre isa. si c'est que ça, tu devrais venir à la maison plus souvent, on pourrait faire un barbecue dimanche. je bois une gorgée de ma bière et lui souris doucement. puis, papa serait vraiment content de te voir, j'en suis sûr.

j'ai tellement l'air imbécile, à l'heure actuelle. faible. « mouais.. non.. » isa. allez. encore un petit effort. « quoi que.. ouais.. ça pourrait être.. sympa. » sa réplique m'achève. « vraiment content de me voir.. oui.. probablement.. » pas une seconde fois, quand même, isa. j'me retiens très fort. « en tout cas.. » ça n'va clairement pas. et ça parait.

isa a l'air confus. il dit non, puis il dit oui. il n'a l'air sûr de rien, puis surtout, il devient pâle, tout à coup. ça n'va pas, et ça se voit. et moi, j'aime vraiment, vraiment pas ça. je met ma main dans sa nuque pour le rassurer. ça va isa, calme-toi, respire doucement, tout va bien. j'sais pas, j'sais même pas de quoi je dois le rassurer, contre quoi je dois le protéger. ça m'tue. moi qui ait un métier pour sauver les gens, j'vais même pas être capable de sauver mon propre frère. j'vais sans doute rester plus d'une nuit.

je l'aime, mon frère. beaucoup. j'ai tellement peur, qu'il m'cache des choses aussi bien que j'lui en cache. même si, actuellement, ça parait qu'il y a un truc qui cloche. il a l'air de bien aller, cruz. mais j'ai toujours ce doute, au fond d'moi, que papa lui a fait la même chose. et ça m'tue. ça m'tue, à tous les jours. il dit qu'il va rester plus d'une nuit, et j'suis vraiment soulagé. j'le prends dans mes bras, et j'le serre fort. « cruz.. y'a rien que tu me caches, hein? »

ça a l'air de marcher, un peu. isa a l'air de se calmer, d'ailler mieux, et ça me rassure. alors je me détends et j'enlève ma main. mais aussitôt, il me prend dans ses bras et me serre contre lui. et ça m'fait tout drôle, mais c'est agréable, parce que ça faisait longtemps. alors moi aussi je le serre. puis il m'pose cette.. question. je fronce un peu les sourcils. j'comprends pas trop. je le relâche et le regarde, sérieusement. en fait, si.. j'ai tué quelqu'un, puis je l'ai enterré dans le jardin. promis tu dis rien? puis j'ris. ah, si tu voyais ta tête! non, j'te cache rien, isa. et toi, tu me caches des choses?

c'était pas la meilleure idée du siècle que de lui demander ça. j'vais devoir encore mentir. il m'répond, puis sa réponse m'rend un peu perplexe. notre père est tellement dérangé que j'prends tout au sérieux, maintenant. j'ris un peu lorsqu'il poursuit. « t'es con, un peu. » j'lui mens, ou j'lui mens pas? c'est toujours la même question. « je.. » mon coeur bat à cent mille à l'heure. j'prends une éternité avant de répondre. « oui. » j'fous quoi, là? « j'ai pas.. déménagé sans raisons, à l'époque, cruz.. »

je ris de ma propre bêtise. je ris beaucoup, même. isa rit aussi, un peu moins. alors j'arrête de rire. oui, je suis un peu con. mais c'est pas vraiment nouveau, tout ça. et quand je lui retourne la question, la réponse met plus longtemps à arriver. oui, il me cache des choses. cool. hm. d'accord.. pourquoi, alors? j'essaye de m'imaginer tous les scénarios en tête, mais rien ne me vient vraiment, en fait. je vais avoir besoin d'explications.

je termine ma bière d'une seule traite. non. j'peux pas lui dire ça. j'peux pas. j'peux juste pas. je me lève, puis fais les cent pas dans le salon, en m'passant la main dans les cheveux, puis dans le visage. « cruz.. » puis, j'm'assois de nouveau. « j'ai quitté à cause de papa. »